Ces choses dont on dit mots.
Montage d'extraits de poèmes faisant référence à des objets usuels ou rares, auxquels nous nous attachons ou au contraire que nous abandonnons au mépris, sinon à l'indifférence…
À travers Charles Baudelaire, Yves Bonnefoy, Francis Ponge, Jacques Prévert, Arthur Rimbaud, Philippe Tancelin, Jean Tardieu, Boris Vian, Philippe Weishaupt... nous écouterons résonner l'empreinte des choses sur nos âmes...
lecture à voix haute de Philippe Tancelin accompagnée des musiques de Philippe Weishaupt
Elfi Exertier, Sans titre
Elfi Exertier
vidéos, installations
Qui jadis ou hier encore s'est tenu là ? Quels objets, quelles choses sollicitaient nos sens ? Quelle présence s'offrait à nous et maintenant ne paraît plus, ne nous lègue avec le temps que son empreinte, n'en appelle qu'à nos souvenirs, nous laissant confrontés de force avec l'absence, l'envahissante présence de l'absence ?
À travers cette exposition-rencontre avec deux autres artistes, Elfi Exertier non seulement interroge la mémoire sensorielle mais elle met à l'épreuve notre gratitude à l'endroit de ces objets-choses qui en nos temps partagés avec eux, ont su alléger nos tâches ou mieux encore nous soulager de multiples fardeaux sans oublier d'être dispos à nos humeurs, nos sentiments quand les caprices du temps jouaient de toutes les péripéties...
Elfie Exertier, Toupies
Selon une scénographie toute en résonance avec les autres œuvres exposées, l'artiste propose avec ses installations, toute une dramaturgie de la convocation d'empreintes visuelles, sonores avec la matièretemps de nos regards. Elle convoque notre présence à des disparus, (objets et choses). Elle interpelle notre manière de ressentir leur absence, de réécrire depuis leurs traces, le sens profond des usages que nous en avions, notre raison d'être avec eux, parmi eux. Elle élabore enfin une cartographie de nos mémoires vives.
Ainsi qu'elle l'a entrepris au long d'une première étape de sa démarche créatrice à la rencontre des personnes désorientées*, Elfi Exertier réveille certes notre relation spirituelle, sensible à la matérialité des objets disparus, mais plus encore depuis le temps des choses (leur durée d'usage), elle en appelle ici, aux choses du temps : ses œuvres de poussières et d'ombres, ses imprégnations des espaces, des esprits, des sensibilités qui laissent peu paraître en surface mais n'en atteignent pas moins les grandes profondeurs, parfois jusqu'aux abîmes de nos sensations.
Philippe Tancelin
Février 2023
*Personnes souffrant de la maladie d'alhzeimer
Elfi Exertier elfiexertier.com
Christian Cheyrezy
peintures
Docteur en musicologie, titulaire d'une thèse musique et représentation chez Wieland Wagner, agrégé d'arts plastiques, Philippe Cheyrezy dirigea le département de musique de l'université Paris VIII où il enseigna comme maître de conférences. Réalisateur de plusieurs mises en scène d'opéra, il produisit de nombreuses émissions sur France musique et présenta en 1976, le festival de Bayreuth.
Au bleu oiseau
Grand érudit autant en musique qu'en arts plastiques, il se consacra à la peinture durant les quinze dernières années de sa vie.
Comme Picasso dans L'enlèvement des Sabines s'inspire des tableaux de Poussin et David en les interprétant dans sa conception de la violence déformante-informante, Cheyrezy s'inspire de fragments de toiles de maîtres, les met en scène et depuis cette mise-en-scène use la toile, contruit une dramaturgie de cette rencontre des fragments.
Chaque toile de taille moyenne ou très grande est la circonstance provoquée d'un drame (drama) dans l'espace. Le peintre s'y lance plusieurs défis, celui de la complexité de la composition géométrique, de la lumière et de la recherche d'une musique instrumentale des tons et nuances plus que des couleurs. L'ensemble frappe le regard contemplateur selon une théâtralité à l'épreuve d'une érudition sans laisse des toiles de grands maîtres dont l'artiste s'inspire et prend certains fragments, à partir desquels il reconstruit de nouvelles compositions-montages qui relèvent d'une très forte théâtralité et suscitent entre eux une relation violente inattendue, comme Picasso le fit dans sa forme avec des tableaux de Poussin ou David. Ici l'artiste, également metteur- en-scène d'opéra ne manque pas d'enrichir ses montages de figures d'instruments avec lesquels nous le verrons, il fait jouer des partitions de silence. Christian Cheyrezy s'est spécialisé au plan théorique dans le champ de la relation entre image et musique et ce n'est pas sans dessein que la figure d'instruments de musique les plus divers, intervient dans ses compositions, mais toujours dans la perspective d'une pause marquée entre deux exécutions de morceaux. Les partitions et instruments y sont proposés selon un silence radieux offert aux éléments tumultueux de la composition. Souvent en effet, celle-ci orchestre une tempête de décors au sein desquels les architectures de monuments (arceaux, voûtes, colonnes, chapiteaux, ...), se pressent, se font concurrence, s'entrechoquent parfois dans leur ascension vers la lumière. C'est à une véritable conquête de l'espace, avec la maîtrise technique que cela implique, à laquelle se livre le tableau. De riches tentures, étoffes aux plis subtiles viennent, telles une baguette de chef, donner mesure, rythme à l'ensemble.
Entrée des artistes
A la différence de ce qu'on désigne souvent nature morte ou encore réunion de choses inanimées, selon des scènes composées, mises en espace, Christian Cheyrezy ne propose pas des objets en représentation, éléments divers figés dans leur invariance mais leur relation de plus en plus chaotique tout au long de la dramaturgie que déploie le tableau. Cette dramaturgie repose sur le parcours labyrinthique du regardeur suscité par les interstices entre les éléments. L'artiste nous fait cheminer à travers ces interstices. Nous nous aventurons dans des relations étonnantes, conflictuelles, jusqu'à la violence déformante des lignes, informant de nouvelles voies d'échange entre les éléments. On y surprend autant de drames qu'il y a de déambulations possibles dans l'antre les objets. On pourrait supposer que notre vue sur le tableau est conduite par une scénographie déterminante. Tout au contraire. Nous sommes invités à l'aléatoire créatif de nos chemins de regards et au bouleversement parfois de nos perceptions et lectures de l'œuvre. Ainsi en est-il du dernier tableau de l'artiste Au bleu-oiseau que nous pouvons interpréter comme une prouesse figurative autant qu'abstractive suivant la distance qu'on s'octroie vis-à-vis de l'œuvre.
Sans titre
Les toiles présentées nous offrent, dans l'espace plastique, un large éventail de drames, toutes catégories avancées : tragiques, tragi-comiques, comiques...
De la pompe cérémoniale d'un chœur d'église où l'on croit entendre les grandes orgues, au dérisoire d'un point sur une portée, d'une perruque de juge sur un autel en passant par le plus humble, d'une cruche en équilibre instable ou la violence qui saisit cet oiseau de proie cherchant à s'extraire de sa pose taxidermique par un vol incertain.
Dans les œuvres de Christian Cheyrezy, rien n'est affaire de décor mais de lutte entre des puissances prises au piège de leur image, des potentialités interdites par des figures de faux prophètes mais toutes heureusement condamnées par l'artiste à se libérer grâce à la conquête de l'espace et son ascension vers une lumière noire comme on en connaît au théâtre et comme l'artiste en usait dans ses mises-en-scène d'opéra.
La recherche au sein des tableaux n'est pas que plastique, elle est aussi musicale. Elle nous fait autant entrevoir le grand ordre du désordre qu'entr'entendre le vaste concert harmonieux des discordances, le tout dans ces approches atypiques d'architectures visuelles, sonores selon des écarts surprenants entre elles et hautement travaillées par l'artiste comme savent le faire quelques poètes... Christian Cheyrezy demeure par son œuvre cette lumière secrète de drames intervallaires qui écrivent une poétique de l'éclair dans le calme académique.
Philippe Tancelin